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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 16:25

De Vita Beata

Chapitre XVI

 

            Précédemment, on a pu voir que le bonheur absolu était la résultante de la conjugaison de plusieurs facteurs. On pouvait, vu l'éloge qui en avait été faite avant, plus les quelques allusions en ce sens, deviner que le fait qu'une cause, en matière de discernement, domine toutes les autres, est bien réel. Ce principe originel pourrait être la capacité qu'à notre âme à s'illustrer dans tel ou tel domaine ; à apporter sa contribution, si modeste qu'elle soit, à ce que la communauté humaine s'attache à construire, chaque jour un peu plus depuis des millénaires – c'est ce qu'on appelle le développement ; et, ici, il est explicitement cité, et il n'y a plus de doutes à avoir, quant à la nature de cet élément-clé, qui doit être capable d'organiser toutes les ramifications du plaisir, dont nous avons besoin dans nos vies. C'est d'ailleurs ce pouvoir que nous avons, qui nous permet de maîtriser notre présent et notre avenir, qui fait toute l'attraction qu'à la Vie sur nous : il est formidable de constater que notre empreinte, quand elle est caractérisée par l'efficacité et la beauté, s'ancre, plus ou moins fortement dans le paysage. Certes, notre envie de vivre est instinctive, encore faut-il être convaincu que l'effort que l'on consent pour y arriver n'est pas vain. Dans un souci de ne jamais perdre le sens de notre existence, il en va de notre intérêt de renforcer, grâce à cette force, d'asseoir plus largement nos dispositions morales, afin que celles-ci ne soient pas submergées à la moindre émotion, que notre fierté, ou, à l'inverse, notre honte pourraient nous amener à surmonter. C'est que cela est source d'inconstance, ce qu'il préférable de cacher, aux yeux des autres, pour que l'on nous accepte.

 

            C'est donc « la vertu » qui est, ici, louée. Puisque l'on parle d'elle, c'est peut-être l'occasion de la définir précisément, et de voir comment elle se compose. Il est d'ailleurs surprenant que, jusqu'ici, Sénèque n'ait pas abordé ce thème : en l'opposant à « la volupté », il fait de cette notion une des charnières qui ouvre la porte sur la compréhension des idées qu'il développe. Ne reste, alors, que le choix de le faire à sa place, en attendant, peut-être, qu'il nous dévoile sa version. Ainsi, il faut dire que la « vertu », outre le fait qu'elle est abstraite (ce que tout le monde sait), est, elle aussi, la somme de deux aptitudes, dont on dira qu'elles sont antérieures, puisqu'on peut les différencier. En premier lieu, il faut identifier la connaissance, sur laquelle tout est basé, puisqu'elle permet de balayer un spectre plus ou moins large de phénomènes existants. Elle peut elle-même se décomposer : on peut distinguer, en elle, la curiosité, qui nous à aller vers l'inconnu, que nous apprendrons à connaître ; deuxièmement, il y a la mémoire, qui nous permet de retenir les informations que nous avons pu nous procurer. C'est à travers elle que « la vertu » est un concept immatériel. En deuxième lieu, il y a la salubrité d'esprit, qui, d'une part, permet d'agencer les idées, et, par conséquent, d'en créer, à partir d'éléments puisés dans ce que l'on a appris ; d'autre part, cela permet de déterminer l'impact que l'on aura sur notre environnement : soit on aura concocté un véritable fléau, soit on choisit d'être vraiment utile au développement ; cela dépend de notre attirance.

 

            Le procédé revient régulièrement dans ce traité : on l'a déjà vu. Il s'agit de faire parler un personnage imaginaire, qui n'est là que pour acquiescer, et qui, donc, parle pour ne rien dire, dirait-on, dans la mesure où il n'apporte pas d'idées nouvelles. Comme beaucoup de textes antiques, le présent écrit est construit autour de ce pseudo-dialogue, et le seizième chapitre est représentatif, puisque, ici, on retrouve les codes du dialogue (tutoiement,...). Du coup, l'emploi de la deuxième personne du singulier donne lieu à des questionnements, et, maintenant, il s'agit de définir, toujours en parlant de ce qui fait notre valeur intrinsèque, ce que cela peut nous apporter sur le plan moral. Car, puisqu'on a eu, précédemment, l'occasion de voir que la culture de ce qui est en nous-mêmes peut être une source d'émancipation, c'est donc cette dernière notion qu'il s'agit de vanter : ainsi, au cours de son acquisition, on se dote de possibilités qu'on ne pouvait pas soupçonner auparavant. En effet, apprendre à mieux connaître le Monde qui nous entoure revient à se familiariser avec les codes dont il est émaillé (et le langage, qui n'est, ni plus ni moins, qu'une de ces nombreuses nomenclatures issues de l'esprit humain, est, au premier chef, un exemple édifiant). Grâce à cela, nous pouvons, après une période d'assimilation, accéder à des choses que, en temps normal, nous n'aurions pu aborder. Le résultat, c'est que nous aurons l'impression de dominer la situation ; un sentiment de toute-puissance nous animera, car nous saurons où nous allons.

 

            S'il est, certes, question de mettre en avant les mérites de la « vertu », il aurait fallu veiller à ne pas les exagérer : on ne peut pas faire croire que rien ne s'opposera à notre volonté, même si l'on pouvait avoir une connaissance absolue de toutes choses. Il faut accepter que nous sommes entourés d'éléments extérieurs, sur lesquels, à cause de leur vocation à rester externes, nous n'avons, par essence, aucun contrôle. Là est bien leur droit, de pouvoir se déterminer eux-mêmes, car aucun d'entre nous ne peut avoir, légitimement, autorité sur un autre. Et, si, à tout hasard, nous venons à rencontrer une de ces forces contraires à nous-mêmes, émanant de notre entourage, et que, alors, nous pouvons feindre d'être froissés, cela signifie que nous aurons su, avant même que d'aucuns puissent se rendre compte du changement, nous adapter, instantanément, aux nouvelles contraintes que l'on nous a imposé. Dans le cas où il nous est impossible de cacher notre frustration, il nous faudra prouver que l'on sait nous tempérer nous-mêmes ; qu'on peut toujours faire machine arrière. Cette flexibilité dans notre raisonnement témoigne de ce qu'on ne peut appeler autrement que l'intelligence. La rigidité idéologique ne peut – elle le devrait, en tous cas – ne mener qu'à la honte, ou, malheureusement, à l'affrontement – ce dernier cas de figure n'est pas souhaitable. A un autre niveau, Sénèque parle d'égaler les « dieux ». Ne nous méprenons pas : il s'agit de dépasser, par la « vertu », tous les encadrements qui nous sont supérieurs.

 

            Grâce aux procédés du dialogue, il est possible d'exprimer la surprise d'un interlocuteur fictif qui aurait écouté le discours de la personne avec qui il discute. C'est le cas ici : on s'étonne qu'il soit viable de se satisfaire de ses propres attributs. En effet, celui qui a la chance de posséder une éloquence débordante, par exemple, peut se plaire à lui-même, de façon à ne pas aller chercher ailleurs ce qu'il y a en nous. Et c'est, justement, sur ce dernier point que repose la nature inégalable de cet amour propre : le fait d'avoir tout ce qui fait notre bonheur en soi procure un plaisir incomparable, car, alors, on a plus besoin d'aller chasser, à l'extérieur, ce qui nous manque. A travers la sensation de répondre soi-même à nos besoins, nous pouvons faire fi de notre désir de posséder ce qui nous est étranger ; ce qui nous évite bien des problèmes, puisque, comme on déjà pu le voir, nous n'avons pas, dans ce cas-ci, l'impression de manquer de quelque chose ; surtout, nous n'avons pas à établir les bons stratagèmes pour parvenir à nos fins, ce qui est, en soi, une perte de temps. Il y a lieu, cependant, de devoir se procurer, au minimum, les bienfaits que le Monde peut nous apporter. Ne serait-ce que pour vivre, en premier lieu. A plus forte raison, si nous comptons utiliser l'excellence que nous prétendons déceler en nous-mêmes (ce qui ne peut pas ne pas être, dans la mesure où, par notre nature humaine, nous sommes susceptibles d'être attirés par ce qui est attirant), nous avons besoin de temps pour y arriver, et, pendant ce temps, il faut bien trouver sa subsistance.

 

            Le présent passage est bien trop long, et donc, trop riche en idées, pour que l'on puisse, ici, tout analyser. Il faut donc sélectionner les grandes lignes, au détriment des approches d'ordre mineur. Mais le découpage du texte n'est pas l'œuvre de Sénèque, c'est pour cela qu'il est recommandé de se procurer l'édition citée au début de l'ouvrage que vous êtes en train de lire ; au pire, cela n'est pas indispensable – c'est une remarque tardive. Alors, revenons à nos moutons, c'est à dire au contenu du texte : on nous dit qu'il est possible de se suffire à soi-même, et on ne peut pas le nier. Cependant, celui qui s'aventurerait à prendre trop au pied de la lettre ce qui se veut être, au final, un conseil – ne pas aller chercher ailleurs la richesse qu'il peut y avoir en nous-mêmes – se risquerait à une sorte d'eugénisme idéologique, en ce sens que nous n'aurions que la possibilité de réfléchir en vase clos, ce qui finirait par brouiller nos notions. C'est pourquoi il convient de nous abreuver de savoirs de tous types, et de multiplier les expériences. De la même manière qu'il est vital de s'ouvrir au monde, il est vertueux de laisser pénétrer notre esprit par de nouvelles conceptions provenant de notre entourage, et de colporter ces mêmes vues à d'autres personnes, pour avoir un retour critique sur ce que l'on a transmis. Mais, ne poussons pas plus loin cette analyse, car l'antique philosophe va probablement le faire lui-même : c'est dans son propos. Il faut dire que cette critique est à sa portée, contrairement à d'autres réflexions menées en complément, après quelques millénaires de développement humain.

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