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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 15:57

De Vita Beata

Chapitre II

 

            Pour agrémenter son texte d'exemples, l'auteur a choisi manifestement de s'inspirer de sa propre vie. Versé aux affaires politiques de son temps – celles de l'Empire Romain -, il base ses explications sur la manière dont se prenait les décisions, au sein des institutions impériales. Bien sûr, il s'agit de ne pas raisonner, pour s'accomplir et être heureux, comme on le fait dans ces bassesses de la vie quotidienne. Car la réalité, veut-il dire, masque la vérité : ainsi, il blâme les comportements moutonniers. En effet, de façon volontaire ou non, les choses nous sont présentées de telle façon qu'une partie de l'assistance – la plus grande – penche dans un sens, qui ne traduit pas toujours le meilleur choix. Si bien que, à la limite, on peut même être tenté de redouter de faire les mêmes choix que les autres, un peu comme dans le cas d'un pari, où le concurrent qui est le plus plébiscité, est celui qui, au final, donne le gain le moins important, individuellement parlant. Dans une optique d'épanouissement personnel, il n'est donc pas intéressant d'aller où « paraît être la majorité ».

 

            Même dans le monde politique, on peut voir des comportements où les files s'enchaînent, et où le voisin suit son prédécesseur, parce qu'il est plus facile, comme nous l'avons dit, de suivre, ou non, que de décider. On peut quand même espérer que nos politiciens modernes ont réussi à reléguer ces attitudes au second plan, à défaut de les avoir éradiqué ; aujourd'hui, on peut attendre de nos représentants une intelligence incomparable à celle de la lie du peuple, ce qui ne semble pas avoir été forcément le cas dans le passé. Pour ce qui est des tribunes populaires et publiques, on trouve encore ces mouvements de masse instinctifs, qui nous embourbent dans le marasme que nous connaissons aujourd'hui. Ceci dit, si ces réactions spontanées nous conduisent, bien souvent, à notre perte, elles semblent résulter, en ce qui concerne l'Antiquité, d'imperfections de la société, qui était beaucoup plus archaïque que la nôtre. Par contre, si aujourd'hui on est à peu près assurés de ne pas être les dupes de ces illusions naturelles, l'ampleur et la force de persuasion qu'ont pris, au fil du temps, les choix des structures qui nous entourent et nous encadrent compensent largement les éclaircissements qu'a pu porter sur nos vies le progrès technique. Quoi qu'il en soit, on ne peut être qu'heureux que, aujourd'hui, cette érudition acquise nous permettent de tempérer nos actes ou nos propos. C'est là peut-être aussi une explication à ce passage.

 

            On s'appuie maintenant sur la différence qui existe entre ce qui est objectif et ce qui est subjectif. Etant donné que nous sommes tous plus ou moins différents, il est hautement probable que ce que font les autres ne nous corresponde pas, ce qui est contraire à la recherche du bonheur. C'est pourquoi il est crucial de faire des choses dont nous approuvons nous-mêmes la véracité. Ainsi, le simple fait de se sentir d'accord avec soi-même, d'agir en pleine harmonie de l'intellect et du moteur, fera que l'on fait naître en nous ce sentiment de plénitude, de fierté, de satisfaction personnelle, qui provoquera les louanges que nous nous attribuerons de manière autonome. De là résulte cet amour propre qui nous conduit à considérer que nous portons la « félicité éternelle ». Quitte à être mis à l'écart par ceux qui nous entourent parce qu'ils ne se reconnaissent pas dans nos propres actes ou pensées, car ceux-ci sont probablement eux-mêmes dans l'erreur : rien n'est pire que de les imiter, sans comprendre. Bien souvent, les gens qui se trompent sont déjà dans l'opulence et sont imbus d'eux-mêmes, ce qui les incite à développer leurs idées fantasques, voire farfelues. En déduire leur valeur morale à travers leur apparence, ce qu'on est tenté de faire, est donc une chose à éviter. Notre réalité physique est indépendante de notre vie idéologique et intérieure. C'est pourquoi il convient de trouver un autre moyen de juger autrui, et, en ce sens, la communion spirituelle est riche d'enseignements. C'est donc par l'esprit qu'il faut trier ceux qui sont bons et ceux qui sont mauvais. Ceci dit, on ne saurait être strictement manichéen et catégorique. Car, pour beaucoup, leur pensée ne reflète pas ce qu'ils sont : nombre d'entre nous, par peur d'être différents, et ainsi, d'être rejetés du groupe, s'en tiennent à ce que les autres attendent d'eux ; ils sont engoncés dans le carcan social, qui fausse l'image qu'ils renvoient. Mais s'ils se retrouvent dans les conditions qui leur permettent de s'affranchir de l'étiquette dont ils se sont affublé, ils auront tôt-fait de prendre du recul et de renier la façon d'être qu'ils viennent d'enterrer.

 

            Est-ce l'époque qui veut que l'on tienne des propos trop radicaux ? On ne le sait. En tous cas, Sénèque passe son temps à vilipender la foule, en oubliant de dire que ces grandes masses d'individus sont, parfois, dans le droit chemin. Je peine à croire que le philosophe qu'il ait pu ignorer cela, et ce serait plutôt la façon de mettre en texte, sous l'Empire Romain, qui expliquerait cela. Cependant, je n'ignore pas que les patriciens méprisaient la plèbe, et que celle-ci était plongée dans un obscurantisme profond. Car, déjà, la haute société souffrait des mêmes maux que ceux qui caractérisent le monde aujourd'hui. Ces classes, constituées de pseudo-intellectuels et d'aristocrates fortunés, s'offusquaient également du moindre petit écart de conduite, et dédaignaient ceux qui n'avaient pas la chance d'avoir leur condition. Les déductions que l'on peut faire à propos de la société mondaine de l'Antiquité prouvent que les moeurs, qui découlent directement de la nature humaine, ne diffèrent, parfois, pas beaucoup des nôtres ; que l'on peut retrouver des traits communs qui permettent de faire un parallèle, en particulier en ce qui concerne ces populations favorisées, qui semblent vivre, plus ou moins, de leurs rentes.

 

            Ici, le texte est tourné de telle manière que les réflexions menées par l'auteur prennent la forme d'un monologue prononcé par un personnage que l'on présumera fictif. C'est ainsi qu'il se lamente, dans un premier temps, de ses agissements, en insistant sur le fait que ce qui est fait est fait ; plus précisément, il s'en plaint. Après un éclair de lucidité, il se remémore ces moments passés dans l'insouciance, où il a pu dire des choses honteuses qui allaient au delà de sa pensée, et qu'il regrette maintenant. C'est pourquoi il vaut mieux se taire, plutôt que de proférer des perfidies avant de réfléchir aux conséquences. Car, là, c'est lui-même qui est blessé dans son ego, au point de regretter son comportement passé. Sur ce point, on peut établir un parallèle entre la philosophie quotidienne et l'idéologie religieuse : les biens matériels de ce bas-monde apparaissent comme méprisables, réduits au rang de simples expédients. Il en conclut qu'il aurait eu meilleur temps à se faire violence en acceptant de regarder en face ce pourquoi il exprime une répulsion. Il s'est d'abord opposé à   certains, et, ensuite, s'est réconcilié avec eux, et on peut deviner que ceux à qui il fait référence se sont laissé acheter par les bienfaits qu'il leur a apporté ; mais il ne s'est pas convaincu lui-même, s'est même déçu, et il ne peut que le déplorer. Dans un deuxième temps, il se plaint de n'être point satisfait de l'observance des préceptes exposés dans ce traité. C'est que, une fois que l'on est arrivé à quitter les lieux communs de la pensée, et que l'on est reconnu par ses pairs comme être valorisé, puisque l'on aura réussi à apporter à la société une complémentarité originale, vient logiquement l'agrément matériel que l'on mérite. De ce fait, on peut échoir dans cette superficialité caractéristique des nantis, qui n'ont plus besoin de songer à la misère du monde. De surcroît, la notoriété, qui est aussi un corollaire de cette montée en puissance, nous expose mécaniquement à l'avidité, aux jalousies et aux médisances des uns et des autres. C'est ce qui explique cette complainte, où l'avatar de l'auteur se pose en victime.

 

            Il n'est pas évident de commenter les lignes ci-dessus, qui se réfèrent à un discours, d'autant que la pseudo-analyse qui vient d'être faite ne se veut pas être seulement un tissu de paraphrases. Il faut quand même dire que, s'il est vrai que la conquête de la Sagesse paraît être le préalable au bilan que l'on vient de tirer, il est probable que le travail qu'on a accompli sur soi-même ait, dans ce cas, apporté une certaine opulence. Il est alors plus aisé de jeter sur le chemin accompli ce regard d'indignation que nous pouvons constater. Ceci parce qu'il n'engage à rien de renier son passé quand on a tout, d'un point de vue purement matériel. Ainsi, on peut considérer que le schéma dont il est question ici décrit assez bien les étapes qui mènent au succès. Par ailleurs, Sénèque étant lui-même un notable respecté, il sait de quoi il parle. Il sait ce que signifie la popularité ; qu'elle provoque des éloges aussi bien que des condamnations. Il peut donc prévenir ce qui peut arriver. C'est pour lui une façon de dire qu'il n'est pas question d'ingurgiter ses enseignements comme on se conforme aux indications d'une recette de cuisine : il s'agit d'anticiper et de comprendre tous les éléments qui entrent en jeu. La philosophie, et donc la recherche du bonheur, qui en est qu'une infime fraction, doit être une passion, non un outil dont on se sert pour arriver à ses fins, comme dans beaucoup de domaines. Enfin, rajoutons que le vrai philosophe saura trouver de lui-même la voie à suivre, et en assumera, en toute conscience préalable, tous les effets en retour.

 

            Le monologue, dont nous avons analysé la première partie (cf. supra), se poursuit. Il s'agit maintenant de s'intéresser à « la multitude » que l'auteur traite, par l'intermédiaire du personnage qu'il fait parler. Première constatation : ces gens du peuple, dont on suppose qu'il font partie des classes aisées, sont méprisables. En effet, ceux-ci s'attachent à des choses qu'on peut qualifier de futiles et éphémères. Ce sont des attributs qui n'ont pas forcément de portée historique (leur existence particulière ne persiste pas au-delà d'une vie), et ne se préoccupent pas des considérations universelles (comme les valeurs de l'Humanité). L'Histoire ne juge pas toujours utile de retenir les agissements du moindre orateur des rues, du parvenu simplement bon-vivant, ou d'un quelconque lieutenant de pacotille. Ce sont des petites gens qui ne font que vivre, et on ne peut en rien les comparer avec les Grands Hommes qui ont fait, dans le passé, ce qui est notre présent. C'est pourquoi cette lie de privilégié peut s'apercevoir de cette différence, et se mettre à jalouser celui dont ils ont compris la supériorité. En cela, on peut voir en eux des « ennemis », puisqu'ils pourraient  tenter de se substituer à ceux qu'ils chérissent. Pourtant, il existe une solution, qu'ils ne voient pas, qui leur permettrait d'attirer vers eux l'attention des autres. Ce salut réside dans ce qui est intangible : la connaissance, le talent d'artiste, la pureté de l'âme, et bien d'autres concepts abstraits. Il est fondamental de bien apprécier la totale différence entre ce qui est exogène et ce qui est endogène, entre le clinquant et le sobre. La fortune, par exemple, est quelque chose qui s'acquiert au cours du temps ; elle représente le premier aspect de la dichotomie qui vient d'être énoncée. Mais, en elle-même, elle ne peut rien changer dans la personnalité de son possesseur ; ce qui la rend « misérable », car elle ne peut qu'attirer ceux qui, comme des pies, veulent tout ce qui brille.

 

            Il est certain que les gens dont il est question dans ce chapitre sont superficiels, et qu'ils ne possèdent guère, en eux, des spécificités qui pourraient susciter l'intérêt sur leur propre personne. Pour autant, les particularités qu'on leur attribue ne sont pas à rejeter. Celles-ci constituent la base qui préfigure une hypothétique grandeur, dans le futur. Elles représentent des truchements qui nous permettent d'accéder à d'autres domaines que nous pouvons plébisciter par la suite. Elles sont en quelque sorte le préalable qui, à l'avenir, nous facilitera l'existence. Par ailleurs, leur possession traduit la volonté commune de chacun d'impressionner son voisin grâce à l'acquisition facile de tel ou tel objet. En ce sens, cela peut traduire le bonheur, puisque l'existence même de ces éléments, dans lesquels tout le monde peut se retrouver, permet d'acquérir une multitude de biens qui n'ont rien à voir entre eux, d'une part, dont, à l'avenir, on pourra faire le commerce, d'autre part. Les avantages qu'évoque l'auteur constituent l'interface qui ouvre des possibilités sur tous les horizons. A ce titre, l'argent, la monnaie, demeure l'exemple le plus probant ; de nos jours, son omniprésence renforce ce pouvoir. En outre, elle peut être un témoin indirect de la vertu de la vertu de l'âme de celui qui aura su s'en procurer en grande quantité, régulièrement. Son aspect brillant n'a pas été choisi au hasard : cela donne, non seulement, des indications sur la valeur de la chose en elle-même, mais aussi, les reflets agressifs qui en résultent sont susceptible d'attirer l'oeil, de se démarquer d'un fond terne, entre autres avantages que l'on peut trouver aux espèces métalliques.

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